“D’étranges graffitis aux quatre coins de Tours.
Un mystérieux artiste sévi depuis quelques semaines sur la ville. Silhouette féminine, image rapide, perturbante, une femme, certainement la même. Des portraits brossés ici et là, comme un jeu de piste...”
Style à la con. Pas de ton. J’écris comme ceux qui vidange les dépêches AFP.
Olivier a adoré mon premier papier. Celui au troquet. “Un air de vrai, de réalité. Comme une enquête, c’est dingue !”, enthousiaste, quoi. Il attend le prochain et là je sèche. Trois jours que je devrais l’avoir publié.
Je gribouille rapidement de notes. L’expression des émotions, celles du moment.
“BalzaK m’a tuée” Ce graffiti, un non-sens, un paradoxe. “BalzaK m’a tuée”
Tuer un vivant ! Une vivante. C’est ridicule. “BalzaK m’a tuée”, cette fille ? Ce visage. C’est à rien n’y comprendre. Puis j’ai tué personne.
Merde. J'ai tué personne moi ! C’est presque une provocation ? Diffamation !
Savoir qui c’est. Comme une obsession.
Cette photo sur un téléphone, le besoin de trouver mon accusateur, Trice ! Le “Tuée” est au féminin. Le début aussi d’un truc. Une idée d’article ! Mise en abyme, plongé dans le néant. Voilà que je déraille. L’alcool, la chaleur insoutenable, caniculaire. J’ai marché, erré dans la ville un moment, à lorgner les murs, chercher le graff.
J’ai trouvé mon premier “Elle” là. Je lui ai donné ce nom. “Elle”.
Une première figure, une première peinture. Impossible de savoir si c’est la même femme, elle est chauve, le visage creusé. “malade d’amour” c’est écrit à côté. “Chienne de vie en dessous”.
Pour m’aider, j’ai appelé un contact. Une experte. On se retrouve pas loin du Pont Mirabeau.
Le mur du passage du Pèlerin, au pied de la tour Charlemagne, et les murs de l’Îlot Vinci, à côté de la gare.
Un projet de la ville, avec une association :
Le M.U.R Tours (Modulable, Urbain et Réactif). Sur le modèle d’un autre projet qui lui se vit sur Paname : le M.U.R Oberkampf. ¨Promouvoir l’art urbain, une programmation d’artistes, des performances artistiques sur un espace banalisé. Des occasions d’échanger avec les artistes. La faune du coin : habitants, commerçants, touristes, passants et passionnés de street art.
Pourquoi pas. Je reste un moment pensif. Un lieu banalisé pour une pratique transgressive, Des techniques de dessin structurés, c’est joli. Cela s’inscrit dans le lieu, vient presque le modifier. Le structurer. C’est peut-être donné un autre point vu, juger autrement.
Je prends une photo. J’attends
- BalzaK ?
Gil Cadet, dit Gil KD, mon rendez-vous. Un blase d’artiste. Je cherchais quelqu’un pour m’aider comprendre un peu mieux le graffiti. J’y connais pas grand-chose, quelques documentaires à la télé, des articles lu ici et là.
- Ron, je fais.
Nerveuse, timide.
Je lui ai expliqué au téléphone que j’étais un peu journaliste, J’ai eu son contact par Olivier, le patron du Prog. Mon patron du moment.
Je lui ai expliqué que je cherchais des infos, elle s’est tout de suite murée, pas envie de parler. Pas très envie de parler, Gil est méfiante, s’exprime autrement. J’ai fini par la convaincre.
Surtout quand je lui ai parlé de “Elle”.
Je lui montre le dessin. Simple par rapport aux autres. Un visage de femme, noir sur gris. Un slogan.
- J'ai vu elle m’a fait.
- Tu l’as connait ? J’ai demandé.
Dès notre échange téléphonique on s’était mis d’accord pour se tutoyer.
Je parle du visage. Du dessin. Cette femme.
Gil, elle. Elle me reluque. Déçu ? Gras du bide, tendu, je tremble pas mal. Le regard lurd. Je dors mal. Transpire comme un porc, la faute au réchauffement climatique.
Elle reste un long moment à observer le dessin.
- Non...
Elle reste pensive. Elle parle de la technique, du pochoir, des coups données ici ou là, des coulures, de bombe de peinture qui ne sont pas celles des pros.
Elle est avare de mot.
Voit bien que je ne comprends pas. Il ouvre son sac à dos. Elle me fait même tester, me tend une bombe, y clipse un caps, à bout large, de ceux qu’elle a en poche. Elle me montre sur un carton. Ecrit Ron. Mon nom.
A toi !
Je teste un moment, et manque m’en foutre plein les godasses.
Elle se fout de moi, raconte quelques aventures, des virées nocturnes, des anecdotes à la mode vandale. Je l’écoute avec attention. Elle est vraie, elle me dit, elle aussi troublée.
- Ce dessin est fort. Certainement un le pochoir agrandit d’un original.
- Je cherche qui fait ça.
Elle n’apprécie pas le ça. Elle grimace même. Ne veut pas être mêlé à cela :
- Pourquoi tu veux savoir ? Elle me demande.
- Je sais pas... connaitre sa démarche, voir ses intentions. Il a des choses à dire.
Elle ne semble pas avoir lu mon papier. J’ose pas lui parler du “elle”, celui du cantonnier, celui qui m’accuse de l’avoir “Tuée”.
- Cherche pas à remuer la merde BalzaK, ça éclabousse.
De Ron BalzaK
(Jérémy Bouquin)