“Elle” est un autre
J’ai mis du temps à le trouver. Déjà je n’avais pas de nom, juste une vague description. Celle d’une rencontre fortuite au Bergerac.
Lui. Le cantonnier.
Lui qui m’avait branché sur l’affaire, qui m’avait parlé d’Elle, Lui qui m’avait braqué son écran de portable avec un graffiti sorti de nulle part, avec mon nom d’écrit dessus. Celui par qui tout avait commencé. C'était normal que tout se termine avec lui.
Alors je suis retourné voir Miloud, au Bergerac.
Miloud qui m’a proposé un verre de Blanc, j’ai préféré une menthe à l’eau. L’humeur du moment. Celle de la rentrée des classes. Je vais reprendre ma petite vie dans quelques jours, retrouver mes étudiants.
Puis Sonia... c’est fini.
“La fille aux yeux menthe à l'eau
A rangé sa mégalo
Et s'est soumise aux yeux noirs
Couleurs de trottoir
Et moi je n'en pouvais plus
Elle n'en a jamais rien su
Ma plus jolie des mythos
Couleur menthe à l'eau”
Bref...
- Lui, je connais pas son nom, mais je sais où le trouver.
Miloud qui ricane. Qui sait très bien que dès la semaine prochaine, je reviendrais. Pour la rentrée, comme chaque année depuis plus de vingt ans. Abonné au zinc, prendre un verre de blanc.
Je vais pour partir, Je termine mon verre, sans vraiment apprécier. Amer.
- A demain ? Qu'il me nargue.
Je ne réponds pas aux provocations.
Jardin ouvrier … St Pierre des Corps. Jardins familiaux. Des coins de paradis à quelques mètres des voies ferrées, des rocades, et du bruit du quartier. Des parcelles qu’on se partage, qu’on entretien, des cabanons de jardins. Des récupérateurs d’eaux de pluies bien vides en ce début septembre. C’est la campagne sous un soleil de plomb, c’est la ville qu’on oublie pour quelques radis à ramasser, sortir le barbecue, et profiter d’une bulle de plaisirs.
Et moi qui débarque dans ce tableau idyllique.
- Monsieur Rhu ?
Il se retourne quand je l’appelle. Par réflexe, juste un mouvement qui corrobore deux mois d’enquêtes absurdes, un bordel sans nom, une ville couverte de slogans, de visages, de couleurs, et de rumeurs.
C’était si con. C’était si simple.
Lui et Elle.
Lui est Elle. Tout simplement.
Il me fait signe, comprend, que j’ai compris. Sourit, heureux que j’ai décodé son ultime message. Car demain, il n’y aura plus de visage. Plus de “Elle”.
- Je vais les effacer dans la nuit, qu’il me promet, l’agent de la salubrité.
- C’est dommage, c’est …
- C’est maintenant plus un secret, c’est maintenant un souvenir.
Il sort une chaise en plastique, une glacière, du cabanon. Dedans, des pochoirs, des cartons, des bombes de peintures, des seaux de colle à papier peint, les preuves du délit.
Son atelier. Un lit de camps aussi, il m'avoue y dormir souvent, depuis que Geneviève n’est plus.
- J’ai trouvé son livre. Je dis.
Il semble étonné.
C'est Sonia. Ma bouquiniste de cœur, qui à chiner, jouer de ces contacts, ces collègues m’a fait ce très beau cadeau, avant de m’avouer me trouver de trop.
La fille couleur menthe à l’eau....
Un petit livre d’une centaine de pages à peine. Noir et blanc. La couverture cornée, un visage d’”Elle”. Traits blancs sur fond noir mat. Autopublié, imprimé chez MAME. Avant d’être un incubateur à startup, un tier lieux à la mode, c’était une imprimerie impressionnante, un fleuron de l’industrie sur presque deux siècles. Avant l’apparition du numérique.
Cent pages de croquis, de poèmes, d’une vie résumée en quelques lignes. J’ai retrouvé les dessins agrandit en pochoirs, ceux qui ont couvert les façades, les portes, les murs de la ville durant cet été, 2023.
Ephémère récit.
- C'est très beau.
Je parle du livre, des expressions, des techniques.
Lui, Rhu m’en veut alors de dire cela. Ses yeux noyés de larmes. Il me renvoi pas colère :
- C’est pourtant vous qui l‘avez tué !
Il en parle comme cette citation du premier graffiti : “BalzaK m’a tuée”
Je ne comprends pas sa colère.
- Elle était l’une de vos élèves à la faculté. Vous étiez jeune, solaire, elle vous adorait. Elle venait à vos courts. Geneviève se rêvait peintre, elle était infirmière. Nous avons eu de très beaux enfants, nous avons vécu de très beaux moments... Mais celui qui a gâché un moment sa vie, c’est vous : BalzaK.
Silence.
- Ce jour du 1er juillet 2001, elle est venue à vous. Malade, Elle avait caché son crâne chauve, la maladie qui la rongeait, faible. Elle venait de faire imprimer ce livre que personne n’a voulu. Qu’aucun éditeur n’a jugé intéressant. Elle avait décidé de le publier avec nos sous. Elle avait décidé de vous l’offrir.
Je ne me souviens pas.
Alors que pour Lui c’était comme hier.
- Elle avait cherché toute la nuit à vous dédicacez le fruit de son travail. Y trouver le bon mot à vous adresser. Vous l’avez tellement inspiré, vos cours, votre façon de parler des artistes, votre sensibilité... Elle s’est senti la force de créer, dessiner comme jamais, elle ne l’avait fait. Et ce jour de juillet, ce dernier jour de cours, vous êtes arrivé, imbibé. Saoul.
2001.. Nadège.
Sale époque. Juillet, la période où ma femme m’a foutue dehors.
Lui, lit mon désespoir, les remords, il a gagné. Il a fait tout cela pour profiter de ce moment, celui où il va me terrasser :
- Vous ne l’avez pas ignoré. Pire vous avez feuilleté avec dédains l’ouvrage, puis vous l’avez déposé sur le coin de votre bureau. Sans rien dire.
Le dédain. Pire que tout. L'oubli.
- Vous l’avez tué. Qu’il me fait encore. Il était normal que vous la ressuscité !
J’avoue. Je suis une merde. J'ai même pas trouvé les mots pour m’excuser.
Je me suis levé.
J’ai souvenir de m’être excusé, enfin, d’avoir bafouillé quelque chose qui y ressemblait.
Silence.
Seul dans mon appartement foutraque qui schlingue la pisse de chat, je fixe d’un œil vague mon écran plat. Je m’apprête juste à appuyer une dernière fois sur le bouton “envoyé” de la messagerie. Terminer cet article.
Demain reprendre les cours.
Demain reprendre ma vie, la ritournelle du quotidien.
Le cœur gros. Ce n’est pas de la rédemption, Juste l’illusion d’avoir tout raté.