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"Elle" est un autre

Prologue - le petit blanc sec du matin

Je suis pas vraiment ce qu’on appelle un poivrot... 

Juste, que le matin, il me faut mon ballon de blanc sec pour démarrer. Un carburant comme un autre. De quoi faire tourner les injecteurs ! 

Ma table au fond du Bergerac, rue Colbert, neuf heures à ignorer les soudards du moment, le nez dans la Nouvelle République. Les vacances scolaires sont déjà bien installées. Terminé les cours. J’enseigne. 

J’écris aussi.  Cinquante-cinq ans au compteur, un divorce, il y a plus de vingt ans. Deux, peut-être trois enfants (j’ai un doute sur Maxime, le dernier, il doit avoir 20 ans). Nadège a beau dire qu’il me ressemble, je vois bien qu’il louche comme l’autre raclure. 

Son époux. Un comptable. 

Ils vivent dans le sud. Je vois même plus mes mômes.  Trop loin. Trop con. 

Depuis ? Je végète. Prof alcoolo, journaliste maudit, égocentrique notoire. Ronchon, grognon, tête de con, fier de l’être. 

Quelques conquêtes d’un soir, des épisodes médiocres. Me supporter semble être un calvaire. 

Même au taff on n’arrive plus à m’encadrer. L’université voudrait bien m’oublier. Minable.

On parle d’arrêter mes cours. L’histoire de l’art n’intéresse plus personne. Seulement ceux sur le sexe dans l’art et encore. Quand j’en cause, on dit que je suis un pervers. 

Drôle de monde, drôle d’époque. 

Des combats qui me dépassent. On m’accuse de sexisme, de vieux con. Des idéologues de comptoirs, des théologistes des réseaux sociaux, tout le monde cherche à imposer son avis sans écouter l’autre. Chacun sa colère. 

M’en fout. Suis nulle part. Parait qu’on veut ma peau, parce que j’ai osé montrer l’origine du monde, et toutes ses déclinaisons.  Piqué au vif, l’humour un peu gras, me suis emballé. Certainement le verre de trop. 

Bref. Suis un intérimaire de l’enseignement depuis plus de vingt ans. Un abonné à la pige culturelle dans plusieurs journaux, page web. J’ai décroché ma rubrique dans prog pour l’été !  Un agenda local, sous forme de revue, avec quelques articles. Ils l’ont décliné sur le web, je vais y écrire un post par semaine. Genre “la RubriK de BalzaK”, je déconne. Mais un truc comme ça. 

Une promesse tenue à Olivier de directeur du truc. Il cherche du “neuf, du frais”. Pas sûr que question fraicheur je sois le mieux placé. 

Neuf papiers à tenir. 

J'ai promis d’y parler d’”art”, j’ai peut-être un peu survendu mon délire. 

Allez, je vais m’en jeter un autre, suis à sec de blanc et d’idée et je le moral qui commence à dévisser. 

Patron ! 

Miloud comprend de suite, il tire la boutanche du frigo, reste un fond.  Décidément... 

Dans le troquet, pas grand monde. Les lycéens, comme les étudiants sont loin, tous rentrés chez eux. A cette période Tours retrouve des airs de ville morte, Reste la canicule, la place plum’ enfin accessible, les touristes qui zonent cartes à la main, les guinguettes qui attirent le papillon de nuit au raffut des DJ à la mode, des street food du moment. 

Boboland quoi ! Je dois virer vieux con.  J’ai soif. 

Miloud fait le plein avant que je siphonne, me baragouine un truc d’un mec qui veut me causer qui est au fond, je ne capte pas vraiment, je fais un signe. Soupir, tellement il doit me trouver lourd à détester le monde, les autres. Miloud, il dit que j’ai l’alcool mélancolique. 

Moi, je rappelle, que c’est mieux que le Xanax. 

  • C’est vous BalzaKhim ? 

Plus personne ne m’appelle comme ça.  Nom de baptême, Ancienne vie... 

  • Ron BalzaK. Je corrige. 
  • Enrico Balzakhaim ? Il veut être sûr. 

Putain, mais c’est qui ce tordu qui m’appelle par mon nom de naissance. Un contrôleur fiscal ? 

Un clampin plutôt. L’allure du grouillot du macadam, sa cote verte, siglé mairie de Tours, casquette, air cradingue, tout rabougri, il doit avoir trois fois mon âge, fripé le zig. Il est cantonnier justement. La propreté urbaine, son camion électrique est garé pas loin. 

  • C’est vous qui schlinguez comme ça ? Qu’il me lance. L’air dégouté. 

C'est le comble. 

Le mec a le nez dans les égouts du soir au matin et me toise avec “mon fumé” du matin. Pas que j’ai un souci avec la douche, juste, j’ai plus l’eau municipale depuis deux jours. Un problème de compréhension. Une histoire d’impayé, de factures en souffrance, je n’ai pas très bien compris. Problème avec Véolia certainement, comme avec Enedis la semaine dernière. Trop de noms, de relances... Cela s’empile dans un coin. 

“Une phobie administrative” comme dirait les politiques !

A eux, on ne leur dit rien. Charlots. 

  • Vous voulez quoi ? Je m’agace.
  • C’est vous les articles sur l’art moderne ? 
  • Peut-être. 

Question chef d’œuvre bien attaqué, il tient le haut du panier. Le mec tremble sur ses guiboles. 

  • Vous vous y connaissez en Graffiti. 

Je ne vois pas où il veut en venir. 

  • Parce que depuis un certain temps, y’un gars qui se fait plaisir ! Y dégueulasse à tour de bras, y dessine comme une envie de pisser. 

Je l’écoute le cantonnier, sans vraiment comprendre où il veut bien m’emmener. 

Il me sort son téléphone portable, l’écran dans le même état que le bonhomme, tout fissuré de partout. Il cherche un moment dans les menus, ces ongles noirs de crasse, ces mains rappeuses, tapote sur l’appareil. Je remarque les tatouages, genre carcérale, des dessins aux doigts bleus, des lignes qui montent le long des poignets. 

Craspec. 

Tout ça pour en arriver à des photos de silhouettes, une dizaine, différentes, avec des phrases, comme des citations... J’ai pas vraiment le temps de lire. 

  • Y’en a partout ! Sûr que c’est de l’art. Sûr que cela peut vous intéresser !

De l’art ? 

Ce que je vois me parais bien sommaire, jusqu’à ce qu’il bloque enfin sur une image à peu près nette, celle d’un visage de femme, les yeux presque humides, triste ? Mélancolique, troublante. Un noir sur béton. Gris pas moment comme un effet ombrée : J’ignore la colère. Ecrit juste à côté. 

Il n’ose même plus y toucher. 

  • C’est beau, qu’il me fait. 

Je suis d’accord. C'est simple aussi. L’impression de voir cela partout. L’art ce n’est pas qu’un slogan, et un peu de peinture. 

Et alors ?  En quoi cela me concerne. 

  • Faut trouver qui c’est ! 
  • La fille ? 
  • Non, le peintre ! Il devient de plus en plus nerveux. 

Comme si j’en avais quelque chose à foutre. 

  • Je suis pas flic ! Je vais pas chercher à trouver le mec qui vandalise la ville. 
  • Je ne vous demande pas de l’arrêter, mais de trouver le gars qui fait ça, c’est super beau ! Il mérite qu’on parle de lui.  

Je reste pantois. Le mec m’impose un article. J’en avale mon médicament, tellement je suis à sec d’argument. Me faudrait presque un troisième pour me donner une idée de répartie. 

  • J’y connais rien. 
  • C’est sûr que c’est pas du Monnet, du Picasso, ou du klimt ! Qu'il me fait.

Je vois qu’il a lu mes derniers papiers dans la Tribune de Tours. Et celui dans le TVM. J’écris un peu partout. Faut dire, là j'écris même pour Prog.  Une pige pour l’été. Des articles pour le web. 

Le cantonnier se met à débiner ma vision du Pop Art. Voilà qu’il parle même de mes cours en impressionnisme. C'est qu’il a de la culture. 

  • Je suis désolé... je tente alors de trouver une explication, vaseuse. De parler d’Oliver, de prog, qu’il va attendre de moi un article qui tient la route

Je le vois palucher alors son appareil, il retourne menu et me sort une autre photo, une autre citation : 

“BalzaK m’a tuée.” 

Quoi ? 

Il parle de moi. 

BalzaK m’a tuée, oui c’est en gros. Merde...

 

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