YANNICK JAULIN

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Crédit photo Emie Jaulin


Raconter des histoires en patois ? Pour Yannick Jaulin, c’est l’évidence, tant la défense et la richesse des langues lui tiennent à coeur.

LA QUESTION !

Parler en patois sur scène, ça ne fait pas un peu spectacle folklorique ?

Je déteste le folklore ! Souvent les défenseurs de patois sentent la naphtaline et le formol. C’est une tendance qui est plus présente en France qu’en Espagne, où le franquisme a fait des langues régionales des signes de résistance à la dictature. Donc elles ont un côté plus noble. Chez nous, le patois c’est plutôt associé à la réaction, après la IIIe République, on a mobilisé l’image fantasmée du paysan sédentaire pour éviter le retour de la gauche.

LE QUESTIONNAIRE

Dernière chose que vous faites avant d’entrer en scène ?

Je fais des pompes. Ne riez pas c’est vrai ! Ça me permet de m’échauffer, et d’entrer en scène avec un haut niveau d’énergie.

La musique qui vous fait danser à tous les coups ?

Il y en a beaucoup ! « Sweet dreams » d’Eurythmics, ou le premier album d’Arcade Fire, les deux me travaillent la couenne. En musique les artistes anglophones m’ont beaucoup marqué.

Votre dernier coup de coeur artistique ?

C’était au festival Waterproof, en Bretagne : Révolte ou tentative de l’échec, un mélange de cirque et danse.

Si votre vie était un film ?

Le Pont de la rivière Kwaï !

L’INTERVIEW

Le spectacle qu’on retrouvera à Tauxigny s’appelle « Ma langue maternelle va mourir et j'ai du mal à vous parler d'amour ». Cette mort de votre langue, c’est une crainte ou une réalité ?

Un peu les deux, j’ai choisi ce titre un peu coup de poing qui reflète une part de réalité. On voit que sur certaines langues minorées, il y’a un espoir, mais pas pour toutes. Pour le Basque il y en a par exemple, le Breton aussi car il y a eu une vraie politique linguistique. Mais nous dans les langues d’oïl, comme le Berrichon ou le Gallo, c’est plus compliqué. Et en même temps elles ont résisté à un siècle d’avanie !

Il y a encore beaucoup de gens qui parlent ces langues, comme le patois poitevin ?

Je n’ai pas les chiffres, et je ne sais pas s’il y en a. Il faudrait distinguer les locuteurs passifs, des locuteurs du quotidien. Et ceux-là, ceux qui utilisent cette langue tous les jours, il n’y en a sans doute pas beaucoup. Les passifs sont plus nombreux, ils comprennent la langue sans forcément la parler
souvent. Il y a une vraie richesse. Pas si vous vous placez du point de vue des langues « tueuses » selon les linguistes, les langues du dominateur impérial, autrement dit l’anglais et le français. Mais si vous êtes du point de vue de la diversité, ces langues, c’est une richesse !

Aujourd’hui 80% des quelques 7000 langues parlées dans le monde sont en grand danger immédiat, car ces langues « tueuses » font un travail de dingue ! Et pourtant, 50% de ces langues sont parlées dans des endroits de la Terre où la diversité est importante. Comme si les êtres humains avaient des langues pour protéger la terre dont ils ont la responsabilité. C’est à se demander, comme le font les anthropologues, si la disparition des langues n’est pas liée à la rupture entre la culture et la nature en Occident. En éradiquant les paysans, on a éradiqué leur langue, et on a fait disparaître un lien de l’Homme à son environnement.

Dans ce contexte pas très optimiste, quel objectif poursuit votre spectacle ?

C’est un spectacle qui provoque des réactions puissantes, car j’y sollicite aussi bien l’émotionnel que l’intellectuel. Beaucoup de gens viennent en pensant que le patois ça ne les concerne pas. Mais tout à coup on perçoit l’enjeu de la langue comme un enjeu de domination, et de la langue comme le lien à nos émotions profondes. La langue est l’élément majeur de notre identité. Et en France, l’éradication des langues régionales s’est faite dans la violence et l’humiliation, ce qui a transmis une honte, de génération en génération, alors qu’on aurait dû tous être bilingues ou trilingues. Tout ça
car depuis la Révolution française on a établi que le français serait le pilier de la nationalité française. On a mené la chasse aux langues régionales, perçues comme une mise en cause de l’unité nationale. Aujourd’hui, regardez, la langue de l’économie c’est l’anglais, qui devient le véhicule du capitalisme. Est-ce que la résistance ne passe pas par d’autres langues ? Avoir deux langues, c’est avoir des filtres. Avoir une seule langue, c’est se faire potentiellement manipuler.

Ce spectacle s’annonce engagé, réflexif, alors qu’on vous connaissait plutôt comme conteur en Touraine…

J’ai toujours été conteur, mais de manière iconoclaste. Je fais de la musique, je chante, notamment du rock en patois. Je cherche de nouveaux usages à cette langue qui n’a pas été assez jardinée, alors j’essaie de la jardiner à nouveau comme le suggérait Du Bellay et son idée de « cultiver la langue ».

C’est là que se trouve le salut pour les patois et langues régionales ?

Je ne sais pas, mais en tout cas cela permet de révéler la beauté poétique des mots. C’est tout ça de gagné sur le néant !

Et rassurez-nous, en venant vous voir à Tauxigny on passera un moment aussi sympa, amusant ?

Bien sûr ! C’est un spectacle drôle où l’humour tient une bonne place, et la musique aussi car je suis accompagné du musicien Alain Larribet.

Rendez-vous le 26 avril à 20h30 à Tauxigny-Saint-Bauld grâce à l’association NACEL. Réservations par SMS au 06 40 42 03 90 ou par mail à nacelculture@gmail.com.

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