Publié dans le PROG n°214 de Juillet-Août 2024
« L’autre, c’est nous »
Vous la connaissez : elle a parcouru les zones de conflit du monde entier pour nous les rapporter dans les journaux télévisés. Elle raconte ce parcours dans un livre, qu’elle présentera à la Forêt des Livres. L’occasion d’en savoir plus sur cette femme pas comme les autres !
Qu’est-ce qui faisait et fait encore votre « patte » de reporter ?
J’ai toujours voulu rencontrer les gens, les connaître, travailler sur leur vie pour comprendre comment on en arrive là, à la guerre, au génocide, au massacre… Ce ne sont pas la géopolitique ou la géostratégie qui m’intéressent, mais l’humain. Écrire la petite histoire qui va s’imbriquer dans la grande, pour comprendre la vie des autres, leur quotidien.
Quel regard portez-vous sur le métier de reporter de guerre aujourd’hui ? Il a beaucoup changé ?
La technologie a évolué, aujourd’hui avec un iPhone on peut tout faire seul, même si la qualité n’est pas toujours celle qu’on pouvait avoir avec des équipements plus lourds. Sur le terrain on a aussi Maps, utile pour se diriger facilement. Mais que ce soit avec Maps ou les IA, il n’y a pas encore d’outil pour vous indiquer où sont cachés les terroristes ! L’autre grand changement, ce sont les chaînes infos, et la circulation de l’info à travers le monde grâce aux nouvelles chaînes depuis une vingtaine d’années. J’ai vu en Afrique des gens qui n’avaient pas de quoi se nourrir ou s’habiller mais qui avaient des télés ou des smartphones. Des gens voient leurs familles décimées, ou leurs proches en perdition, et veulent vivre mieux et aider les leurs. La question des migrations est devenue cruciale et fait peur à beaucoup de Français. Je les comprends mais il ne faut pas avoir peur de l’autre. L’autre est comme nous. L’autre, c’est nous. Il ne faut surtout pas confondre migration et terrorisme.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre Mes guerres que vous présenterez à la Forêt des Livres 2024 ?
Je n’avais jamais voulu me retourner sur mon passé, ce n’était pas dans mon programme ! Mais une suite de rencontres m’y a amenée. J’ai été contactée il y a quelques années par Mélanie Freynet, une professeure de français pour échanger avec ses étudiants. Elle a réuni près de 2000 reportages que j’avais faits, en me disant : « J’ai travaillé pendant deux ans pour vous. Qu’est-ce que vous allez faire de mes recherches ? Un livre, j’espère ! Par ailleurs, au décès de ma mère, j’ai retrouvé un carton dans sa cave, « Maman pour Marine » : il contenait des photos et des articles de magazine, des lettres de téléspectateurs… Ce sont ces deux femmes qui m’ont donné envie de faire revivre ces rencontres et ces expériences.
Être une femme vous a compliqué la vie, comme vous le racontez dans le livre…
C’était une autre époque ! Les hommes avaient les places de pouvoir. La politique étrangère leur était réservée. J’ai dû rester pendant sept ans au service des informations générales avant de pouvoir me faire une place dans le grand reportage, quand des confrères masculins y étaient entrés directement.
Y avait-il tout de même des avantages à être femme ?
Être femme sur le terrain, en Afghanistan par exemple, cela veut aussi dire porter la burka, et ça ne me pose aucun problème : si ça me permet de faire mon boulot, je le fais ! D’autant plus que cela me donne accès à la moitié de la population : les femmes. Mais le terrain n’a pas de sexe, il est dangereux pour tous. J’ai peur tout le temps, c’est ma boussole et cela m’empêche de prendre des risques trop importants. A l’époque on travaillait en équipe de trois ou quatre, et je ne prenais aucune décision seule. Si un membre de l’équipe ne voulait pas y aller, on n’y allait pas. Cela ne m’a pas empêchée de voir des confrères mourir sous mes yeux, mon caméraman par exemple durant le putsch de Moscou, tombé sous les balles des forces spéciales russes.
Est-ce que ça vous manque d’être sur le terrain ?
J’étais encore sur le terrain l’année dernière, pour des boîtes de production étrangères (anglo-saxonnes surtout). Lorsque je rentrais en France, je tirais le rideau. Quand on est en zone de guerre, le soir on rit beaucoup, on danse. Pas tous les soirs, mais on a besoin de souffler. Et donc quand je rentre en France, j’ai besoin de me ressourcer, de me laisser-aller, de rire… Mais le fait de tirer ce rideau a enterré des blessures invisibles. J’ai vu des gosses se faire déchiqueter en Tchétchénie, des massacres de masse au Rwanda… En revenant sur le passé pour ce livre, ces blessures sont remontées à la surface, physiquement. J’ai souffert de vertiges, qu’un médecin m’a décrit comme une dépression post-partum liée à l’accouchement de mon livre, moi qui n’ai pas pu avoir d’enfant à cause de l’endométriose. Depuis que j’ai fini l’écriture, ces vertiges ont disparu !
Vous voici autrice, présente à la Forêt des Livres - Les Ecrivains Chez Gonzague Saint Bris, après le Salon du Livre et du Vin de Saumur en avril : quel souvenir en gardez-vous ?
J’aime ces expériences de rencontre avec le public. J’avais participé à un café littéraire à Saumur, après lequel des gens sont venus à ma rencontre, pour poser des questions ou acheter des livres. Des personnes de tous âges, de seize à quatre-vingt-quinze ans, des femmes, des hommes, des couples… C’est impressionnant de réaliser qu’on a marqué les esprits alors que je ne suis plus à l’antenne depuis plus de quinze ans. Tout cela me rend très heureuse.
Et pour terminer, dans votre valise, quels seront les trois indispensables pour cet été ?
Un maillot de bain, car j’aime la mer. Des chaussures de marche car j’aime la montagne. Et surtout du rire, du laisser-aller, de la bonne bouffe !
Retrouvez Marine Jacquemin à l’événement Les écrivains chez Gonzague Saint Bris - la Forêt des Livres, le dimanche 25 août 2024.