"Elle" est un autre

Épisode 8 - Rue de Bordeaux

“J’ignore que quoi vous me parlez.” extrait de la Nouvelle république du jour.

Le quotidien local pense avoir débusqué “Elle”. Un article en première page, une tatoueuse connue de la place tourangelle, dont certains dessins ressembleraient au style des graffitis. Des marques tribales, des dessins qu’on trouve en illustration.

  • C’est des conneries, explique Sonia, collée contre moi.

Notre relation a évolué. Je lis à voix haute la dernière colonne : elle se refuse à tous commentaires.

  • Tu crois qu’ils vont la perquisitionner “elle” ?

Je suis toujours en colère.

  • Quoi ?

Les flics... Sonia se marre encore, m’embrasse, ses lèvres son humides de café.

Quand elle a lu l’article, dans la foulée, elle me l’a montré.

  • Ils auraient pu nous trouver à poil à faire des saloperies.

Elle sussure, juste pour me donner des idées

Je nous imagine. Tous les deux, chez moi.  Mon taudis. Non, suis pas persuadé qu’elle envisage d’y venir un jour. Elle est collée à moi.

On est au marché. Elle bosse.

Rue de Bordeaux. Sonia y loue un emplacement. Le cul du break est ouvert, les cartons de livres sont ouverts.  Les vendredis, le 1er et le 3ème de chaque mois.  J’y passe régulièrement pour y chiner un peu, trouver une BD, un livre d’art, de temps en temps un disque. Il y a rarement beaucoup de monde, des passants, des clients réguliers.

Suis bien avec Sonia.

Différent. Six huit jours qu’elle m’héberge, depuis, que je suis sorti de garde à vue, que les flics n’ont rien trouvé contre moi.

Les graffitis continuent d’apparaitre aux quatre coins de la ville, pas une journée sans que des curieux invente une hypothèse. “Elle” est devenu le phénomène de l’été. Tout le monde veut savoir qui c’est.

Cela m’agace.

  • “Elle” est un symptôme de notre société. Celui de ne plus croire en la magie, de refuser l’imagination, m’émerveillement, il nous faut savoir tout le temps.
  • Le café te rend poète

Je suis avec mon gobelet en carton à débiner des conneries.

Pas de ballon de blanc ce matin, ni hier d’ailleurs. Ni plus jamais.

  • Je vais arrêter. Je fais.

Sérieux.

Elle ne comprend pas, elle se lève pour conseiller un type qui fouine dans le carton, explique chercher des polars, des 10-18. Je suis bien là. Dans quelques jours je vais reprendre ma petite vie. Retrouver mon Lycée, enseigner à nouveau, puis il y a Sonia, peut-être un avenir.

  • Tu souris.

Elle me fait. Genre j’ai l’air con.

  • C'est ta faute. Je suis heureux.

J’avale une nouvelle gorgée, je la regarde.

Elle est déçue. Elle cherche à m’expliquer quelque chose :

  • Moi aussi, j’étais comme les flics, au début, je pensais que c’était toi, qu’elle me fait.

Suis étonné qu’elle me dise ça.

  • Je comprends pas ?
  • Pour qu'on parle de toi, qu’on s’intéresse à toi ! Tu n’imagines pas le nombre de cinglés qui serait capable d’inventer des trucs pareils.
  • Je sais même pas dessiné. Je me défends.
  • C’est facile, ce sont des pochoirs, un ordinateur, un logiciel, un bon scalpel et du carton – le tour est joué.

Elle retourne au contact du même client qui a trouvé une douzaine de livres, elle compte, trois balles le bouquin, elle lui fait cadeau du dernier, et lui propose un sac en papier en cadeau.

Elle revient, elle me voir encore souriant

  • Tu verrais ta tête, on croirait un gosse. Un idiot.

Elle se colle dans le creux de mon épaule, mon nez dans ses cheveux l’odeur de cette nuit encore là. - Je vais arrêter le récit là.

Sonia grogne. Je la vois même remontée.

  • T'as pas le droit !
  • Qu’est-ce que tu racontes.
  • La fin de l’histoire, c’est celle là, j’ai t’ai trouvé, je sais pas si on va continuer, de quoi sera fait demain, mais l’histoire, celle que je livre toutes les semaines à mes quelques lecteurs, je vais l’arrêter là.
  • Et Elle ? Tu ne l’as pas trouvé, tu ne peux pas laisser tes lecteurs comme ça, tu n’as pas le droit. Tu penses qu’à toi, ton petit bonheur, ton petit plaisir égoïste.

Du bonheur, elle vire à la colère.

Sonia m’en veut, sérieuse, elle ne me comprend pas.

Tout ça c’est terminé. Du vent. Zou !

  • Puis c’est bien moi qui écrit !

Elle me regarde un long moment, déçu, ou peut-être étonné, je n’arrive pas à deviner.

  • Comme tu veux, elle chuchote...

Amère, Déçue. M’en fout.

Voilà, c’est terminé.

FIN

C'est comme ça, ami lecteur que j’ai décidé de rendre ma plume. Non pas que j’abandonne, juste que je suis heureux.

Oui, heureux. Enfin je crois.

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