- Parait que tu n’aimes pas ?
- Quoi ?
- Ici ! Le lieu.
Elle se moque, c’est pourtant bien là qu’elle m’a trainé, la guinguette. Espace éphémère en boire de Loire, le pont Wilson en décor, la grande bibliothèque juste à côté. Comme chaque année, un lieu où “il fait bon d’y être vu”. Des rencontres à la mode, du beau monde, bondé de curieux.
Un peu trop hipe. “Boboland”
Sonia a lu mon article, le premier. Elle m’a donc Stalké. J’aime, enfin je crois. Elle sourit. Elle porte une jolie robe, légère, un brin transparente, colorée. Fait chaud, j’ai chaud, impossible de savoir. J'ai tenté de sauver les apparences, ne pas passer pour un clodo. J’ai sorti de mes cartons une petite chemise colorée, un pantalon léger, des années que je ne l’ai pas mis, j’ai raie du cul comme un torrent. Je tente de rentrer mon ventre. Je ressemble à rien. Je suis mal.
Sonia s’est installée près du bar, une table un peu isolée. Elle apprécie le moment, l’ambiance. Elle était là bien avant que j’arrive, elle a commandé une deuxième bière, j’ai fait pareil.
- J’aime pas ce que tu écris.
- Pas grave.
Elle est sincère. Impossible de lire son regard, collé derrière des lunettes miroirs rondes, elle relève régulièrement son décolleté, un peu gênée, de trop dévoiler, que je la regarde. Elle vraiment est jolie. Ses petites rides qui plissent au coin de sa bouche, quelques tâches sur ses mains.
- Tu vas parler de moi ?
- Quoi ?
Je termine ma bière un peu trop vite, j’ai toujours soif.
- Tu vas parler de moi dans ton prochain post ?
- Je sais pas... cela te dérange ?
Elle y réfléchit, hausse les épaules. Qu’elle dise ce qu’elle veut, j’écrirais. Silences, ennuyés, on n’a rien à se dire.
Elle a scrollé mes articles, j’ai scrollé son Instagram, j’ai cru deviner qu’elle était bouquiniste : “apôtre de l’économie circulaire, dealeuse de livres de secondes mains.”
Elle n’a pas envie d’en parler. Autant se rabattre sur le mystère “Elle”. Elle en est passionnée. C'Est-ce que j’ai vu sur son Instagram, des photos, qu’il y a en a des tonnes. Des centaines, peut-être plus.
- J’essaye de les chasser. De les trouver toutes. Avant qu’”elle” ne disparaisse.
Il rigole, apprécie les jeux de mots. Je ne comprends pas sur le moment, j’essaye juste de ne pas trop transpirer, de ne pas trop loucher sur ses …
- Tu les as toutes ? Le tableau de chasse est complet …
Je parle de photos.
Elle voit que ma question n’est pas anodine. Faut dire j’ai passé du temps sur sa page, à scroller comme disent les jeunes, à lire les commentaires, suivre les liens, tomber sur d’autres pages, tout aussi fournit, à croire que tout un microcosme s’agite autour de ces portraits.
- Toutes ? Je crois oui... qu’elle me fait.
Une collectionneuse, cela se sent.
Une traqueuse de fresque.
Elle me parle d’une communauté, celle des dizaines de fou furieux qui font comme elle, s’assument à s’échanger les adresses, parait même qu’il y aurait une carte sur le web où chaque fresque est récences, un truc coopératif, un truc de notre époque, que chacun alimente sans se parler vraiment, un mélange de faux amis, et de vrais partages, de commentaires vaseux, en rumeurs les plus folles.
Certains parient même sur des stars locales qui pourrait être “Elle”. De Claire Diterzit – la musicienne en passant par Dorothy Shoes (la photographe), l’illustratrice Mélanie Lusseault, la chanteuse de Caravan Palace Zoé colotis, la comédienne et artiste de rue Diane Bonnot … Elles sont nombreuses
Que des femmes.
Evidement c’est “Elle”.
- Des autoportraits aussi.
Elle a remarqué.
Je n’avais même pas remarqué.
Ces dessins, des pochoirs tirés de photos, des portraits d’”Elle” même ou des portraits d’un artiste sur son modèle. Elle y voit les représentations de la femme tout au long de sa vie. Un regard partagé, amoureux.
Elle y met trop de poésies. Je laisse échapper un sourire, elle n’apprécie pas, croit que je me moque.
Je commande une nouvelle mousse locale. Là aussi le circuit est court et cher. Le juste prix, il parait.
- Tu bois trop ! Elle se défend.
J’en suis déjà à trois bières. Pourtant je fais gaffe. Puis c’est que des mousses. A moins qu’elle parle de mes articles. Mes allusions à l’alcool, je ne me cache pas. Suis malade. Puis elle ne sait pas tout de ma vie. Mon appartement envahit par les bouteilles, le bordel, le chaton qui pisse partout, et pourtant je mets du papier journal...
Elle me trouble.
Sonia me trouble.
- Il en manque un.
J’en reviens à ma question. Elle ne comprend pas.
- Il en manque un. Celui du début. Celui avec mon nom. Celui où “elle” m’accuse.
Le premier, celui qui m’a fait débuté, la photo du gars de la propreté urbaine.
Celle-là, je ne la trouve pas.
- Peut-être effacée ? Elle m’explique ennuyée, elle ne l’a pas en tout cas
Elle peut demander à la communauté ?
- Pourquoi pas... je fais.
Elle envoi de suite un message, avant de reposer son téléphone, le silence revient, dingue, ce qu’on n'a rien à se dire quand on ne se connait pas.
- Tu danses ?
La musique. Sonia a changé, elle aime le morceau. Les Rita Mitsouko, les histoires d’A. Les basses font vibrer le bois. Le parquet face à nous est déjà bien envahit. Elle me prend la main, elle est glacée, elle me tire sans que je n’ose refuser. Des siècles que je n’ai pas dansé.
Idiot, je bouge à peine, elle enroule alors mon bras autour de sa taille.
“Les histoires d’amour finissent mal,
En général.”