"Elle" est un autre

Épisode 4 - La porte du grand théâtre

Pas de commentaire. 

Ce matin on a basculé dans autre chose. La découverte vers six heures du matin d’une nouvelle fresque d’”Elle” a mis le feu aux poudres.

“Du vandalisme ! Nous ne pouvons accepter chaque matin, de découvrir de nouveau graffiti dans la ville, c’est du vandalisme, je n’ai pas d’autre mot”

Le président de la métropole s’agace à l’antenne de France bleu. Outré, fatigué, il explique que depuis le début de l’été se sont plus d’une trentaine d’actes de vandalisme comme celui-là qui ont été recensé. Du graffiti au marqueur sur des vitrines de magasin en passant par des fresques colorées sur certaines banques : On ne peut pas tolérer ce qui est en train de se passer. 

On ne peut tolérer de dégradé l’un de nos plus beaux bâtiments !”

Il parle de quoi ?  

Le grand Théâtre de Tours ! 

“la médiatisation de cette mystérieuse graffeuse n’a fait qu’inciter d’autres à faire de même ! On ne peut pas rester sans rien faire !”

Sur la même ligne le chef de fil de l’opposition de la ville de Tours, qui en remet une louche, puis d’autres édiles qui l’imitent. Ce matin les politiques en appellent aux sanctions... l’affaire est même en page deux de Libération, une manchette dans le Figaro, des dizaines d’articles copier/coller sur leur site internet. 

Alors j’y suis allé voir cette grande porte. 

Ce matin, c’est une foule de journalistes, de badauds qui sont scotché devant la porte immense du grand théâtre à découvrir cette dernière œuvre. 

Belle, provocatrice, immense. Encore une femme, sa silhouette découpée sur plusieurs mètres de haut, un collage, le corps collé de part et d'autre des battants. Elle nous regarde de se hauteur, Gulliver provocatrice.  Elle est en contreplongée, nue, quelques lignes d’un clair-obscur.

  • Comment réussir un tel tour de force sans se faire attraper ! 

Je suis noyé dans la foule, comme tous les autres. Impressionné par ce que je vois, la performance, le message. “Tu ne me regardes plus...”

Les voitures de police sont de plus en plus nombreuses. 

Un camion de la propreté urbaine apparait. Il ne faut que quelques secondes à la foule pour comprendre qu’un ordre vient de tomber d’effacer l’œuvre. Les premiers sifflements, un groupe de jeune qui se forment pour protester, des passants des touristes, le boucan, en quelques secondes, c’est une cinquantaine de personnes qui se regroupent, des riverains, des touristes mêmes.  

Les forces de l’ordre sont rapidement débordées. 

Je prends quelques photos avec mon téléphone portable. Y’en a pas une de nette. Fait chier, l’angle est moche, la porte immense. 

Autour, des “collègues” journaleux font bien mieux. Un des photographes de la Nouvelle République tente même de contourner le cordon des forces de l’ordre et se fait rapidement dégagé par les fonctionnaires, déjà bien tendu. 

On se calme ! Reculez-vous ! 

Le groupe devient une foule, la foule une manifestation, des slogans résonnent : L'imagination prend le pouvoir !  

Un slogan de 68 hurle un petit vieux au fond, les autres reprennent. Et même si les flics sont plus nombreux encore. Faudrait pas que la curiosité, l’effervescence vire à l’émeute. 

Les passants, les habitants refusent qu’on efface cette fresque, “elle” est un cadeau” hurle une bonne femme aux casqués derrière son bouclier transparent. 

La police municipale vient en renfort, ils leurs est impossible de réagir face à ce qui se passe, une manifestation spontanée, des groupes qui entoure le camion de la salubrité, tape sur la citerne en plastique. 

Les casqués reculent, la foule grandit encore. Les téléphones portables braqués sur la scène, filment en direct, les images reprises par des groupes. 

  • Elle est plus grande que nous. 

Une autre femme qui beugle derrière moi. Elle lève le poing. 

Je me retourne, nos regards se croisent, elle me voit photographier, elle me voit noter aussi. 

  • Elle est plus grande que nous ! Elle dit sans m’expliquer. 

Elle sourit. Rayonne, elle est connectée à une page Instagram, semble faire des photos comme des dizaines autour. 

Non ce matin-là quelque chose a changé.

  • Sonia, elle me fait, ses yeux sont verts intenses. 
  • Quoi ? 

Elle me tend la main, les bras embarrassés de livres aux tranches usés.  On me parle. 

Moi ? 

Vieux témoin allumé du moment, anonyme dans la foule. L'haleine chargée du café arrosé à la goute, l’allure fripée, usée. Je ne l’intrigue pas, ne la dégoûte pas. Dans son regard : j’existe. Elle insiste. 

  • Sonia. 
  • Ron, je lui presse la main, me présente en retour. 
  • C’est beau qu’elle me fait. 

Elle me sourit encore. Mais pas de la même manière, elle est jolie. L’âge avancée, une tunique légère, cheveux foutraque, sandalette à corde.  

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