« Sans travail, le talent ne sert pas à grand-chose »
La soprano d’origine camerounaise est installée au Canada, et traversera l’Atlantique pour chanter à l’Opéra de Tours le 30 mai.
Avocate le jour, chanteuse lyrique la nuit… Une double-identité de super-héroïne !
Je ne chante pas exclusivement le soir, mais je suis en effet avocate et soprano lyrique. J’essaie d’organiser mon agenda, et d’accepter des contrats qui me permettent de combiner les deux. Cela suppose de faire des choix, d’avoir une éthique de travail solide, et aussi beaucoup de soutien de la part de mes équipes, artistique et juridique. Tout cela mis ensemble me permet d’allier mes deux passions ! Et peut-être qu’un jour, si les contrats en chant se multiplient, je mettrai en pause ma carrière d’avocate, pour y revenir plus tard…
Vous venez à Tours comme lauréate du concours Voix Lyriques d’Afrique : ces compétitions sont importantes pour vous ?
Plus qu’importantes ! A l’époque je n’avais pas d’agent ni de connaissances dans le milieu de l’opéra, je ne pouvais pas écrire à une maison d’opéra pour demander une audition. Ce concours c’est donc une manière de se faire connaître, une ouverture vers des auditions futures, et l’occasion d’avoir les retours d’un jury exceptionnel. Et ça a marché ! J’ai rencontré des collègues formidables, et je serai en tournée à Rouen ou Tours grâce à cela. Et c’est bien sûr une vitrine importante pour les artistes issus de la diversité.
Quelle place a l’opéra au Cameroun ?
Vous seriez surpris par le nombre de grands artistes qu’on y trouve ! Mais il faut avoir une structure, et des opportunités pour affiner son talent. Les mettre en avant dans des concours comme les Voix d’Afrique leur ouvre les portes de Conservatoires et formations qui leur permettront de progresser. Car sans travail, le talent ne sert pas à grand-chose.
Et quand le chant lyrique est-il entré dans votre vie ?
Pendant mes études de droit. J’ai intégré une chorale au Cameroun, et lorsque j’ai émigré à Perpignan pour poursuivre ma formation en droit, j’ai rejoint une chorale. Intéressée par la polyphonie, la technique vocale, le solfège, de fil en aiguille j’ai voulu plus : j’ai auditionné pour le Conservatoire à Rayonnement Régional de Lyon où j’ai été reçue pour me former durant deux ans. Puis je suis partie au Québec avec mon mari, et j’y ai continué le chant avec une maîtrise en opéra à l’université de Montréal.
Les contrats professionnels sont-ils arrivés tout de suite ?
Les contrats n’ont pas été automatiques ! D’autant que je ne savais pas comment fonctionnait ce milieu-là. Je me suis inscrite à l’université par curiosité intellectuelle plus que par carrière. Cela m’a donné accès à toute une panoplie de cours (écriture musicale, histoire de la musique, etc.). C’est à la fin de ma formation, en 2014, que ma professeure m’a conseillée de passer des auditions. J’ai suivi son conseil, j’ai été retenue lors d’une première audition, et de fil en aiguille j’ai participé à un concours en Italie, à une soirée de gala en Allemagne, avant d’être retenue pour un rôle à l’opéra de Limoges… Mais tout cela n’empêche pas de passer par des auditions où l’on doit faire ses preuves.
Pour le concert de Tours (le 30 mai), avez-vous déjà décidé du programme ?
Il n’est pas encore finalisé. On a tellement de choix ! On veut un programme qui soit enjoué, qui montre nos différentes voix mais aussi nos origines, car l’opéra doit être ouvert au monde, aux différentes cultures et genres musicaux. Ce sera donc un programme unique, au sens où il nous représentera.
Et vous avez des airs fétiches, des compositeurs favoris ?
Bien évidemment Mozart, pour les chanteurs c’est la crème de la crème, qui nécessite une certaine discipline vocale. J’aime tout particulièrement « Come scoglio Fiordiligi » dans Cosi fan tutte par exemple, et l’air de Manon de Massenet, « Je suis encore tout étourdie », que j’adore aussi.
Quels sont les 3 objets que vous mettrez dans votre valise pour cette tournée ?
Une paille, pour mes exercices vocaux, mon tapis de yoga (si j’ai la place !) et un livre de préparation mentale. Avant c’était The Inner Game of Music, hyper important car il n’y a pas que la technique vocale dans el chant lyrique, et maintenant je prends Préparation Mentale à la performance, de l’auteur québécois Claude Webster.
Et en ce moment, quel est votre livre ou votre disque de chevet ?
J’ai été gatée pour mon anniversaire avec un disque de Leontyne Price, un régal. Et dans mes lectures, on trouve Noir.e.s sous surveillance – esclavage, répression et violence, une œuvre qui traite de la réalité des afroaméricains au Canada. Il y a aussi Dune, et La Couleur des lois, des jurisprudences entachées de quelques questions discriminatoires.
Concert Voix lyriques d’Afrique le 30 mai à l’Opéra de Tours – operadetours.fr